Les murailles semblent celles de forteresses mais elles protègent des palais de dentelles, des cathédrales gothiques, façades ornées de pilastres, de balcons à balustres, de corniches torsadées. Etandards et oriflammes flottent aux tourelles et aux donjons. Aux fenêtres à meneaux, des rideaux à brocart cramoisi isolent la chambre où repose la princesse endormie, tandis qu'aux portes veillent des guetteurs impassibles.
Des chandeliers ciselés entourent les châsses dorées de reliques païennes, orfèvrerie précieuse abandonnée en désordre par des géants insouciants.
Cette caverne d'Ali Baba ne se laisse entrevoir qu'un instant, lorsque les millers de bougies scintillent au petit matin. Mais la porte magique se referme aussitôt : aucun voleur jamais n'emportera le trésor...
Seul le soleil en connaît le sésame.
Le jour se lève sous Mesa Arch, teintant de rose nacré la voute innocente. Une somptueuse tapisserie aux motifs de jardin persan se déroule jusqu'aux lointains encore voilés de tulle.
Les derniers lambeaux de brume s'effilochent... et c'est le choc, l'incompréhension!
Vision soudaine d'un chaos improbable!
Que s'est-il passé ici?
Quelle monstrueuse créature a pu s'acharner avec autant de puissance sur cette dépouille écorchée ? Derme labouré d'entailles profondes, ventre fouillé jusqu'au sang, entrailles torturées répandues au pied des montagnes indifférentes.
Quelle sauvagerie a tranché dans le vivant, découpant la chair tendre, rompant les os, refoulant les fluides ?
Quelle force titanesque a-t-elle écartelé les membres, maintenant sans faillir son emprise malgré les contorsions de sa victime?
Spectateur ou voyeur sur une scène du crime? Sentiment trouble, admiration, malaise.
Attention, nature sauvage, surtout ne rien déranger.
Un dragon géant enroulé sur lui-même est sculpté dans la montagne. Ses griffes acérées, ses flancs ridés que plus aucun souffle ne soulève reposent dans le silence que suit les cataclysmes. Ciselés dans le moindre détail, ses membranes fripées, ses ergots rugueux, ses écaillent pointues suscitent une admiration teintée d'un peu d'effroi: et si le grand lézard se réveillait ? Sur quel trésor veille-t-il et qu risquerait l' audacieux qui chercherait à s'en emparer ?
Pour connaître la réponse, il faut monter à l'assaut de l'arête dorsale du gardien pétrifié. Une fois atteint le sommet de l'échine rocailleuse, le mystère se dévoile :le reptile enserre en son cercle un saphir au bleu intense. Un bleu comme en rêve les peintres, profond, changeant et pur, un bleu qui semble d'un monde surnaturel, voire divin.
Le bleu du ciel serti par magie dans un anneau de pierre.
Revenants tout de blanc vêtus hantant des châteaux de tuf. Processions de moines en cagoule cheminant sous les arcades de cloîtres surnaturels. Evêques mitrés tenant conciliabules en cercles mystérieux. Fiers guerriers sans âge ni visage s'appuyant sur leurs javelots. Ectoplasmes aux orbites vides apparaissant et disparaissant en silence. Pirates manchots escaladant les mâts de vaisseaux fantômes. Totems lugubres alignant leurs chimères grimaçantes. Empreintes étrangères sur des grimoires indéchiffrables attestant du passage de créatures d'outre-espace.
Forêts pétrifiées lançant leurs trons sans feuillage au bord de mangroves spectrales. Fleurs pulvérulentes se désagrégeant, lançant aux quatre vents leur pollen stérile. Echassiers fossilisés fouillant du bec les ossements jonchant la rive...
A fleur de cette Atlantide fantasmagorique ondule son double inversé, impénétrable, secret...
Ici ou là, tout n'est qu'imaginaire, plus rien ne ressemble à ce que la Terre enfante et pourtant...
Bienvenue sur... Terre !
Le soleil plonge au-delà de l'horizon et la mer rougoie, embrasée par les derniers feux de la boule incandescente qui disparaît, engloutie par l'eau qui, dans ce combat quotidien, en aura encore eu raison.
Pour un instant, flux et reflux comme suspendus avant l'arrivée de la nuit, la plage de rubis devient planète rouge, paysage martien aux reliefs insolites. Un océan de cuivre en fusion reflète un ciel d'améthyste et de pourpre violent. Une ceinture d'or ornée d'une gemme aveuglante enserre l'horizon de grenat sombre.
Le jour en son déclin offre à son amante impossible ses plus beaux joyaux. Eblouie, la nuit retient son souffle, puis, dans un soupir de volupté, ferme ses paupières fardées de lapis-lazuli et d'éclats de diamants.
Vivre libres... ils ont quitté leurs vieux paux, sur des bateaux toutes voiles au vent.
Soif d'espace sans fin... ils ont pris les routes de l'Ouest, sur des chariots toutes bâches au vent.
Les yeux emplis de rêves... ils ont mis des étoiles à leurs drapeaux, bannières au vent.
Le coeur épris d'absolu... ils chevauchaient solitaires, crinières au vent.
Candélabres enflammant notre mémoire contre la flamme de la statue de la Liberté fondue dans l'azur, loin, loin de là...
Rêves de liberté, d'infini, d'absolu...
autant que jamais n'emportera le vent...